Bavardages #8 Marvel Epic - Dr. Strange: Triomphe et Tourment

Le docteur est en consultation

Marvel Epic Volume 8 - Dr. Strange: Triomphe et Tourment - Doctor Strange, Sorcerer Supreme (1988) #1-13 + Marvel Graphic Novel: Dr Strange & Doctor Doom - Triumph and Torment (1989)

Je te vois débarquer à toute vitesse, lecteur.ice, la souris au bout des doigts et l'oeil agité d'un tic nerveux, prêt.e à me dire : "Hé mais t'a déjà parlé de ça dans ta pile de comics de Juillet 2023 ! T'es complètement fada, peuchère !" et à ça, je te réponds "C'est mon archive, j'fais c'que j'veux, na !"

Pour ceux qui ne connaissent pas, Docteur Strange c'est un morceau de Marvel assez éloigné du super-héros au sens conventionnel et qui joue bien loin des Vengeurs et autres X-Men. Doc' est un peu solitaire même si parfois il s'allie à une non-équipe : "Les Défenseurs". Mais pour en revenir au tout début, c'est un personnage qui a fait son apparition dans un comic intitulé "Strange Tales", un encart de cinq pages par Steve Ditko (cocréateur de Spider-Man). Mais le personnage a vite été victime de ce que j'appelle "le syndrome Ditko". C'était un bonhomme assez sinistre, peu enclin à la boutade et d'une austérité à faire passer un caillou pour un joyeux luron. C'était propre à cet artiste de créer des personnages un peu particuliers et associaux, (le Peter Parker des origines est un énorme nerd pas franchement sympa avec les autres étudiants.) Bien vite, le brave docteur prendra de l'ampleur et finira par avoir son propre titre.

Stephen Strange (prononcez Steven) est un maitre des arts mystiques. Au départ c'était un médecin snob, intéressé seulement par la gloire et l'argent (sujet visiblement réccurent chez Ditko, fondamentalement Peter voit son oncle Ben mourir pour une histoire de pognon...) mais suite à un grave accident de voiture, il perd l'usage de ses mains et se ruine en thérapies, médecine miracle et autre choses expérimentales. Au final, Stephen finit par rejoindre un maitre en magie, l'Ancien, et devient son apprenti. Un autre apprenti du nom de Karl Mordo étudie la magie avec lui, mais pour de mauvaises raisons. Le jeune apprenti finira par sauver l'Ancien qui le nommera alors comme son successeur.

Ses premières aventures dans "Strange Tales" sont complètement en marge de ce qui se fait chez Marvel à l'époque. Le personnage est bizarre, un peu inquiétant, mû par des considérations qui vont au-delà des choses matérielles et qui résouds des choses mystiques comme un docteur soignerait un patient. Les récits se terminant souvent de manière très Ditko-esque, où Strange disparait dans la nuit ou le brouillard, les témoins incertains de ce à quoi ils ont assisté. Rapidement le personnage gagne en notoriété auprès d'une certaine catégorie de lectorat pour devenir une sorte de représentant de la contre-culture et des mouvements psychédéliques qui ont fleuri dans les années 60 à 70 (il suffit de regarder le décor des dimensions que Strange traverse, elles ne sont absolument pas communes et on est très loin des immensité cosmiques de Jack Kirby ou des plans de New York jonchée de gratte-ciels.)

Initialement, Marvel a lancé "Strange Tales" en 1951 qui a duré jusqu'en 1968 avec 168 numéros. Le personnage de Strange ayant prouvé sa popularité, le magazine s'apellera "Dr. Strange" et commencera au numéro... #169. Après le #183, la série sera relancée sous le nom et numéro de "Dr Strange #1" Ce qui fait que cette mouture du Dr Strange est en réalité le volume 2 et l'ensemble Strange Tales => Dr Strange #169-183 est le volume 1. Mais je digresse... Les aventures vont s'enchaîner, comme je l'ai déjà dit plus haut, il fera partie des Defenseurs puis on tentera d'en faire un super-héros masqué pour coller au reste de l'univers Marvel, sans grand succès.

Ce qui nous amène au bouquin d'aujourd'hui qui se consacre à la relance du Doc' vers la fin des années 80 après un revival raté de Strange Tales qui n'aura duré que quelques mois et où l'on pouvait voir Dr Strange aux côtés de la Cape et de l'Épée. "Doctor Strange: Sorcerer Supreme (1988)" est donc le troisième volume consacré au personnage et se terminera en 1996 en pleine période de crise pour Marvel. Il sera réutilisé à gauche à droite, fera des apparitions dans d'autres titres mais il faudra encore de nombreuses années pour qu'une série revienne.

Quelques Flammes de Faltine et Six ou Sept Soleils de Cinnibus

Le tome d'aujourd'hui se concentre donc sur la relance du personnage en 1988 et spoilera un peu les évènements de la série précédente mais rien de bien grave. J'ai pris ça sans connaître la qualité de la série, mon seul souvenir date d'il y a longtemps, sur un certain forum ou la série avait été mentionnée, j'avais émis l'intention de la lire mais on m'avait matraqué que "non, cette série est nulle, lit plutôt la série originale, bla bla bla" et je dois avouer que cette personne n'avait pas raison. Cette série est très sympa et me fait réaliser qu'il s'agit d'un retour aux sources assez salvateur pour le personnage. Je n'en ai lu que les 13 premiers numéros mais pour le moment, ça a été une excellente surprise.

Je n'avais pas d'attentes particulières et je me suis énormément amusée, il y a de tout dans cette série et le sujet est maitrisé pour le moment. Il y a un bon équilibrage entre la romance, le paranormal, l'humour gentillet et les séquences épiques. Mon épisode préféré du lot est sans aucun doute la rencontre entre Dr. Strange et la divinité Agamotto. Il y a une forme d'absurde dans l'épisode qui est pourtant d'une grande gravité et qui place le lecteur dans une sorte d'incertitude scénaristique, se demandant si d'un moment à l'autre on ne va pas briser le quatrième mur et partir dans un délire plus profond encore. Mais fort heureusement pour nous, l'équipe artistique maitrîse son sujet sur le bout des doigts et évite l'écueil avec brio malgré une résolution un brin trop arrangeante pour la suite des aventures de Strange

Un comprimé des Hôtes Chenus d'Hoggoth et un oeil d'Agamotto

Si les épisodes 1 à 13 sont bons, ce n'est pas tout. Il a en fin de livre, un récit complet conçu en 1989 comme un "graphic novel" dédié au personnage. C'était un format prévu pour être lu par des gens qui n'y connaissent rien à Marvel ou qui ne veulent pas s'encombrer de continuité. Les deux personnages principaux voient leur histoire racontée au lecteur ce qui fait que même quelqu'un ayant vécu dans une grotte depuis 1970 saura de quoi il en retourne. Au scénario c'est un vieux bricard des comics : Roger Stern. Et au dessin, un jeune dessinateur qui n'a pas encore percé, un certain... Mike Mignola. (qui ira créer Hellboy dans les années 90). Il y a Mark Badger pour l'encrage et aux couleurs ainsi que Jim Novak pour le lettrage.

Vous dire que j'apprécie ce récit serait un euphémisme. C'est probablement le meilleur récit Marvel qu'il m'ait été donné de lire depuis que j'ai commencé à en lire en 1995. Le récit n'est pas trop long, pas trop court, les personnages sont présentés en détail au lecteur, ils participent à une quête, il y a un combat dantesque, un retournement de situation et ça se termine sur une résolution qui appronfondit l'un des deux ce qui laissera le lecteur sur une note finale poétique.

Le récit est beau, fort, efficace, bien écrit, auto-contenu et surtout totalement mémorable pour moi. C'est une des rares fois ou je me suis arrêtée sur une page en mode "woooooooooooooow" et restée quelques minutes à me dire que c'est une belle page, à apprécier le trait, la couleur, la narration visuelle. Pour moi ce récit est la définition même de "Graphic Novel". Si je ne devais conseiller qu'un seul comic-book marvel qui soit court et accessible, ce serait celui-là, sans la moindre hésitation. Alors si vous voulez passer un bon moment de lecture, vous savez ce qu'il vous reste à faire..